Le bilan du Covid-19 – Un regard sur le parcours de Mohammad, propriétaire d’un petit magasin du coin au Mali.

Je suis M.Y originaire de Dire région de Tombouctou dans le nord du Mali. Depuis 2012 cette partie de mon pays est paralysée suite à une rébellion Touareg (ethnie du nord du Mali), suivie de l’invasion des Islamiste d’Aqmi, ce qui m’a amené vers la capitale à la recherche de vie meilleur.

Je subvenais aux besoins de ma famille à travers l’agriculture qui est l’activité principale de la zone, mais avec l’insécurité il n’est plus possible de cultiver et ceux qui se hasardaient à faire du commerce et autres activités sont très souvent pillés par les rebelles et par les Islamistes sous prétexte d’effort de participation à la lutte pour la libération de l’«AZAWAD». Donc je ne pouvais plus rester, car il n’y avait pas de travail pour moi là-bas.

J’ai décidé de me rendre à Bamako car plus jeune j’y ai déjà été pour chercher de l’argent et j’ai gardé le contact avec mes anciens patrons mais également certains membres de la famille qui y vivent depuis longtemps. Comme je ne pouvais plus cultiver s’était ma seule option pour m’en sortir : venir à Bamako pour mener une activité qui me permettra de subvenir aux besoins de ma famille en ouvrant une boutique.

A mon arrivé dans des conditions vraiment difficiles sans le moindre franc, j’ai d’abord commencé a travaillé dans un magasin appartenant à un oncle, ce travaille me permettait de faire un peu d’économie mais aussi d’envoyer de l’argent au village pour ma famille. Je rendais souvent visite a certains de mes anciennes connaissances pour leur parler de mon projet de boutique et voir comment ils peuvent m’apporter leurs soutiens, vu qu’il était impossible pour moi d’avoir un prêt à la banque vu les conditions et les stéréotypes religieuses (l’intérêt à payer sur le crédit) après quelques mois ma boutique vu le jour avec le soutiens certains ressortissant de mon village en espèce et en nature. Tout marchait presque bien car enfin même si je suis loin de ma famille je parvenais quand même à m’en occuper et à faire des économies pour les aléas de la vie, les dépenses de santé et l’éducation de mes enfants même si les écoles étaient fermées. 

Dernièrement ma vie eu une autre tournure avec l’avènement du coronavirus (COVID-19), et en cette période de pandémie le gouvernement a décrété certaines mesures préventives tel que : le respect des mesures barrières, le couvre-feu et la fermeture des frontières aériennes et terrestres.

Cela a fortement joué sur mon activité de commerce vu le temps réduit pour avoir accès aux services, mais surtout dû à la fermeture des frontières, tout ce que je vends est importé donc la fermeture des frontières a engendré non seulement une hausse des prix mais également des difficultés d’approvisionnement de ma boutique en matière première.

Dans schéma j’ai eu la visité de Sékou TRAORE en début janvier 2021, qui est venu me parler du « Projet corner shop », qui consisté à colleter chaque semaine des données sur les activités de ma boutique, mais également me posé des questions sur ma situation de vie, de la boutique. Au départ je me disais que c’était quelqu’un qui voulais s’imprégner de ma situation économique pour causer du tort et après nos discussions j’ai accepté avec réserve.

Au début c’était difficile non seulement j’avais beaucoup de réserve et ça prenait mon temps et je n’y gagnais rien, je n’avais pas aussi la culture de parler ouvertement de ma situation économique surtout à un inconnu. Nombreux sont les boutiquiers dans ma situation qui ont été victimes de d’arnaque et de braquage, il y a aussi le fait de retenir tout ce que je gardais comme épargne par jour, mes dépenses et autre la difficulté était liée au fait que j’ai l’habitude de faire mes comptes que trimestriellement. Pour cela j’ai reçu un cahier dans lequel je pouvais tout notés et ce qui a facilité le travail et pour Sékou et pour moi également.

Mais je dois reconnaitre que l’application « FINBIT », m’a permis d’être vraiment organisé et de faire beaucoup attention à certaines dépenses à optimiser mes épargnes et de me fixer des objectifs. C’est un projet innovant et vraiment utile pour autres boutiquier nous remercions L-IFT en plus de la collecte des données nous demandons à L-IFT des formations en matière de commerce pour augmenter nos compétences, de financement, de nous aider à mettre des stratégies en œuvre pour augmenter notre revenu et faire face à nos charges. Car force est de reconnaitre que notre situation est particulière en plus de la pandémie nous vivons une situation politique instable qui se manifeste par des coups d’Etat répétitifs en plus de la rébellion et le terrorisme.

Le projet ” Journaux de magasin du coin” collecte des données en Afrique et en Asie auprès de 150 petites entreprises comme celle de Mohammad. Les données que nous obtenons nous aident à comprendre comment ces petites entreprises fonctionnent, comment elles ont été affectées par la pandémie de COVID-19 et comment elles peuvent se remettre des effets de la pandémie.

Au Mali, nous avons recueilli des données auprès de 18 de ces petites entreprises depuis janvier 2021 et nous obtenons des informations utiles sur la situation à laquelle ces petites entreprises sont confrontées pendant cette pandémie de Covid-19. De ces informations-clés qui sont partagées ci-dessous et soutenues par les données réelles collectées, nous explorons comment les revenus, les dépenses, les prêts et l’épargne ont changé pour Mohammad et pour le reste de l’échantillon au Mali pendant cette période complexe.

1. Les fluctuations de revenus

Les totaux des revenus mensuels reflètent les effets du Covid-19 sur les affaires au Mali. Avec l’augmentation des infections par le Covid-19 au Mali en début Janvier, des mesures telles que des couvre-feux et la fermeture des frontières ont été mises en place et ont eu un impact négatif sur les affaires. Les chaînes d’approvisionnement ont été perturbées d’un côté et, de l’autre, les couvre-feux ont réduit les heures d’ouverture des magasins. Pour Mohammad, il a perdu beaucoup de revenus possibles car il devait fermer plus tôt, tandis que le coût des approvisionnements augmentait et c’était difficile à cause de la fermeture des frontières.

«Le COVID au début de l’année a vraiment affecté ma vie de façon négative parce qu’il n’y a pas eu aucune mesure de soutien pour les commerçants et les dépenses des ménages restent les mêmes, nous devons faire face à la situation, nous devons payer le loyer, la nourriture, les soins de santé et d’autres compromis.»

Comme on peut le voir sur les graphiques, les mois de Février et Mars ont été difficiles pour les affaires, car la deuxième vague de Covid-19 prenait l’ampleur. En avril, les activités ont commencé à augmenter car les vaccinations ont été mises en œuvre et les restrictions liées au Covid-19 ont commencé à être assouplies, ce qui a entraîné plus d’activité pour les affaires.

Pour Mohammad, son business présente de nombreuses fluctuations, car les changements des restrictions liées au COVID-19 étaient importants comme son business opère dans un quartier qui avait les premières infections et qui était considéré comme zone à risque. Cependant, au mois de Mai, son quartier avait également commencé à assouplir les restrictions liées au COVID-19 et il a constaté une augmentation de son niveau de revenu.

Malheureusement, en juin, avec l’augmentation des prix de certains produits tels que l’huile et les céréales, qui sont les principaux produits vendus par Mohammad, il n’a pas été en mesure d’approvisionner adéquatement son magasin, ce qui a considérablement réduit ses revenus.

2. Les fluctuations de dépenses

Les dépenses reflètent également les irrégularités et les perturbations causées par Covid-19.

Dans les graphiques ci-dessus, nous voyons les dépenses de business de l’ensemble de l’échantillon et celles de Mohammad. Pour Mohammad, nous pouvons voir que les dépenses de son business augmentent au cours des mois qui suivent un début d’année difficile causé par Covid-19. Il apparaît qu’en Février et Mars, Mohammad n’a pas beaucoup dépensé pour acheter de nouveaux stocks et que ses ventes à cette période provenaient de la vente du vieux stocks et il ne s’est pas réapprovisionné car les marchandises n’étaient pas facilement disponibles à cause de la fermeture des frontières et des coûts élevés à cette période. Lorsque les restrictions ont été assouplies, il a pu se procurer davantage de stocks pour son business et ses dépenses ont donc augmenté pendant la période d’Avril à Mai. Nous avons également constaté que ses revenus ont augmenté après qu’il ait fait les achats supplémentaires du stock en avril. Sur le graphique de ses revenus, on peut voir que le mois de Mai a été le plus rentable.

En ce qui concerne certaines des dépenses spécifiques que nous avons revues dans les graphiques ci-dessous – les dépenses de santé et de produits de toilette, les dépenses d’alimentation à la maison et les dépenses d’habillement et de chaussures – nous pouvons constater que les dépenses de santé et de produits de toilette ont été plus élevées en Février, au pic de la pandémie, lorsque les magasins devaient s’assurer qu’ils disposaient des désinfectants adéquats et des outils de lavage des mains conformément à la réglementation sur le Covid-19.

Les dépenses ont commencé ensuite à diminuer au cours des mois avec la stabilisation de la situation du Covid-19. Les dépenses en “alimentation à la maison” suivent une tendance opposée : elles sont plus faibles au pic de la deuxième vague, lorsque les ménages ont dû économiser autant qu’ils le pouvaient en prévision de temps imprévisibles à venir à cause du Covid-19. Les dépenses en vêtements et en chaussures n’apparaissent qu’en Février et en Juin, avec des montants minimes, car elles ne seraient pas prioritaires pendant une pandémie.

Ces tendances nous donnent une idée du type de priorités qui s’imposent pendant une pandémie et la façon dont une pandémie peut influencer les habitudes de dépenses des entreprises et des ménages.

3. L’accès au financement est un défi

Un peu plus de la moitié des répondants (10 des 18 répondants) ont jusqu’à maintenant pris des prêts, y compris Mohammad. Il est intéressant de noter que 8 des répondants ont contracté des prêts sous forme de stocks auprès de fournisseurs pour être payés plus tard, tandis que seulement 2 ont contracté des prêts à d’autres endroits (un auprès de la famille et l’autre auprès d’un autre commerçant local). Cela montre que le financement de la chaîne d’approvisionnement est maintenu pendant la pandémie et que peu d’alternatives informelles sont apparues. Aucun autre prêt n’a été contracté auprès d’institutions comme les banques, les institutions de microfinance, l’argent mobile, etc. Quel type de prêt ce groupe de commerçants avait l’habitude de contracter avant le COVID-19, c’est quelque chose que nous voulons explorer dans une enquête spéciale.

Mohammad est l’une des personnes qui utilisent le financement de la chaîne d’approvisionnement. Mohammad a reçu au total 300 000 CFA de prêts de la part de ses fournisseurs et a réussi à rembourser 230 000 CFA et n’a plus qu’une dette actuelle de 70 000 CFA. Son business peut donc continuer à fonctionner grâce à ces types de facilités de crédit de la part des fournisseurs et il s’est engagé à effectuer des remboursements réguliers, même si pendant cette pandémie, ses paiements ont été affectés par des revenus irréguliers.

Son premier prêt a été enregistré le 31 janvier et il a commencé à le rembourser même pendant la pandémie, où il a commencé à effectuer les remboursements le 7 Février. En Mars et en Avril, il n’a pas fait de paiements. C’était pendant la période de confinement strict et aussi en Avril son revenu avait diminué. Avec une augmentation des revenus en Mai, il a pu recommencer à effectuer des paiements.

4. L’épargne, l’évolution du Covid-19 et les fluctuations du revenu sont reliées.

Les totaux mensuels de dépôts d’épargne montrent une tendance intéressante par rapport au Covid-19. A partir de Février, nous constatons que les totaux de dépôts d’épargne, tant pour Mohammad que pour l’échantillon plus large au Mali, diminuent et ne recommencent à augmenter que lorsque la situation du Covid-19 se stabilise et que les revenus sont meilleurs. Ils diminuent à nouveau en Juin á cause de la baisse de revenus en Juin. Nous constatons que très peu de retraits d’épargne ont été effectué. Mohammad lui-même n’a effectué qu’un seul retrait en Avril, de 30 000 CFA, ce qui a entraîné un pic dans le total de retraits d’épargne pour l’ensemble de l’échantillon au mois d’Avril.

La fluctuation causée par le Covid-19 a été sévère, mais les petites entreprises locales ont pu résister à la pression et ont fait preuve d’une incroyable résilience. Grâce aux facilités de crédit des fournisseurs, à une gestion prudente des dépenses, à l’épargne et aux prêts, des personnes comme Mohammad continuent d’approvisionner leurs communautés en provisions quotidiennes et espèrent toujours une meilleure régularité et des profits au sein de leurs entreprises.  Ils ont encore beaucoup d’espoir de développer leurs entreprises par l’acquisition des connaissances et des financements. Le projet de Journaux de magasin du coin, grâce à sa méthodologie des journaux financiers détaillés, révèle tous ces différents aperçus sur la pandémie et sur le fonctionnement des petites entreprises communautaires.

ÉCRIT PAR

Sékou Traore

Chercheur de terrain

MHLALISI NCUBE

DIRECTEUR DE PROGRAMME

ANNE MARIE VAN SWINDEREN

FONDATEUR ET DIRECTEUR GÉNÉRAL